Soutenance de thèse de Christine MARTIN

La polysémie du concept d’émancipation, particulièrement dans le champ du travail, conduit à interroger son actualité et son intérêt pour penser les transformations du travail contemporain. S’émanciper signifie tout d’abord prendre sa liberté, échapper à une autorité nous réduisant à un statut d’objet pour pouvoir décider du sens de nos actes. S’émanciper c’est ainsi se libérer d’un pouvoir tutélaire qui s’exerce sur l’individu. Mais l’émancipation au travail est-elle seulement possible ? En effet, le travail salarié suppose dans sa définition même l’idée de subordination à un employeur. Le salarié est dès lors placé dans un état de dépendance juridique. Il doit se conformer aux directives et à l’autorité de son supérieur dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. Parler d’émancipation au travail ne peut-il dès lors résulter que d’un malentendu ? D’autant plus que l’expression « émancipation au travail » est très peu utilisée par la démarche ergologique qui vise à comprendre le travail pour le transformer, tout autant que de le transformer pour le comprendre. Notre thèse entend au contraire montrer que l’émancipation au travail est un enjeu de santé de chacun des protagonistes du travail et suppose que certaines conditions soient remplies, tant sur un plan épistémologique (relatif à la reconnaissance des savoirs portés par les travailleurs eux-mêmes) qu’ éthique (relatif à la reconnaissance des débats de normes qui rythment et scandent l’activité de travail, et traversent les collectifs). A partir d’un travail de terrain mené durant près de cinq ans dans le cadre d’une convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE) au sein des ports pétroliers de Fos et de Lavera dans l’entreprise Fluxel, nous présenterons l’enquête philosophique que nous avons menée en nous inspirant des principes de la démarche ergologique qui interroge le rôle joué par l’émancipation au travail en tant que condition de la santé des individus et outil de transformation sociale. Cette recherche questionne la pertinence de la démarche ergologique pour intervenir dans l’entreprise et plus spécifiquement dans le domaine de la prévention des risques psychosociaux. Elle prolonge le travail initié sur cette question par le biais d’une mobilisation originale du dispositif dynamique à trois pôles (DD3P). Les résultats de l’enquête nous permettent de souligner la fécondité du DD3P, dispositif central dans le cadre de la démarche ergologique, qui entend permettre la coproduction de savoirs par les protagonistes du travail et les experts disciplinaires, pour construire des connaissances nouvelles sur la nature des rapports existant entre le concept d’émancipation et le rôle que peut jouer ce devenir effectif dans la construction d’un monde commun.

The many meanings of the concept of emancipation, especially in the work context, lead us to question its topicality and interest when it comes to thinking about the transformations of contemporary work. Emancipation primarily means taking one's freedom, escaping from an authority which reduces one to the status of object in order to be able to decide on the meaning of one’s actions. Emancipation thus means freeing oneself from a tutelary power that is exercised over an individual. But is emancipation at work even possible? Indeed, salaried work implies in its very definition the idea of subordination to an employer. The employee is therefore placed in a state of legal dependence. They must comply with the directives and authority of their superior in the performance of their duties. Therefore, is emancipation at work only the result of a misunderstanding? This question proves crucial given that the expression « emancipation at work »is hardly used by the ergological approach, whose aim is to understand work in order to transform it, as much as to transform it in order to understand it. On the contrary, as is argued in this thesis, emancipation at work is a health issue for each of the protagonists of work and presupposes that certain conditions are fulfilled, both on an epistemological level (relating to the recognition of the knowledge carried by the workers themselves) and on an ethical level (relating to the recognition of the debates on norms which punctuate and punctuate the work activity, and which run through the collectives). Based on fieldwork carried out over nearly five years as part of an industrial agreement for training through research (CIFRE) in the oil ports of Fos and Lavera in the Fluxel company, this thesis presents a philosophical investigation inspired by the principles of the ergological approach, which questions the role played by emancipation at work as a condition for the health of individuals and a tool for social transformation. This research questions the relevance of the ergological approach to intervene in the company and more specifically in the field of psychosocial risk prevention. It extends the work initiated on this issue by means of an original mobilisation of the dynamic three-pole device (DD3P). The results of the survey allow us to underline the fruitfulness of the DD3P, a central device in the framework of the ergological approach, which intends to allow the co-production of knowledge by the work protagonists and disciplinary experts, in order to build new knowledge on the nature of the relations existing between the concept of emancipation and the role that this effective becoming can play in the construction of a common world.