Soutenance de thèse de Nicolas DODUIK

Cette thèse démontre comment les professionnels d’un musée, en cherchant à élaborer un nouveau modèle de musée et à renouveler la médiation culturelle, participent à la reconfiguration des inégalités culturelles. Les professionnels des musées tendent à considérer que l’institution muséale doit aujourd’hui se transformer pour s’adapter aux publics contemporains. En effet, la démocratisation scolaire, l’extension des industries culturelles et du divertissement, et la diffusion des technologies numériques et d’Internet ont fait évoluer les pratiques culturelles et de loisirs, et donc le rapport au musée. Les dispositifs numériques et ludiques qui se sont développés au cours des années 2010 dans de nombreux établissements muséaux incarnent ces tentatives de transformation. Ils visent à rendre l’expérience du musée moins scolaire, plus ludique et participative. Ils soulèvent néanmoins une tension pour les professionnels des publics, entre affichage d’un renouvellement et reproduction de routines institutionnelles. Le cas du Mucem (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) illustre de manière aiguë les enjeux liés au renouvellement du modèle ancré et emblématique des musées d’art parisiens. Ses caractéristiques – institution nationale mais décentralisée à Marseille ; musée de société ; établissement ouvert récemment, dans un quartier en rénovation urbaine – lui confèrent une place spécifique dans le paysage muséal français. Il apparaît alors comme un laboratoire de ces évolutions et un observatoire idéal pour les saisir. Dans le cadre d’un financement CIFRE, nous avons eu l’occasion de travailler au quotidien pendant trois ans au service des publics du Mucem. Nous y avons conçu un dispositif de médiation culturelle : l’application numérique « Mu ». Cette thèse s’appuie sur une enquête par observation participante menée auprès des professionnels de cette institution. Outre la participation au quotidien du service – impliquant réunions de travail, discussions informelles, observations de visites de publics – les données collectées comportent une trentaine d’entretiens, une sociographie des parcours professionnels et sociaux de l’ensemble des travailleurs du Mucem (N=166) et l’étude des statistiques internes au musée sur ses publics. Nous montrons que le renouvellement de la médiation culturelle, porté entre autres par le dispositif « Mu », s’inscrit dans un cadre institutionnel normé et une conception des publics « misérabiliste ». Ce dispositif, comme d’autres, incarne une nouvelle norme de légitimité culturelle « éclectique ». Celle-ci, propre aux catégories moyennes et supérieures dont les professionnels des publics font partie, valorise l’altérité culturelle, rejette la forme scolaire et s’approprie de manière distinctive les répertoires populaires. En s’intégrant au musée, ce type de dispositif participe alors finalement au brouillage des hiérarchies culturelles, moins perceptibles qu’auparavant mais persistantes.

This thesis demonstrates how museum professionals, in seeking to develop a new museum model and renew cultural interpretation, participate in the reconfiguration of cultural inequalities. Museum professionals generally consider that the museum institution must now transform itself to adapt to contemporary visitors. Indeed, the democratization of education, the expansion of the cultural and entertainment industries, and the spread of digital technologies and the Internet have changed cultural and leisure practices, and therefore the relation to the museum. Digital and playful devices that have developed during the 2010s in many museums embody these attempts at transformation. They aim to make the museum experience less academic, more playful and participatory. Nevertheless, they raise a tension for professionals working with the public, between displaying a renewal and reproducing institutional routines. The case of the Mucem (Museum of European and Mediterranean Civilizations) is a striking illustration of the issues involved in renewing the established and iconic model of Parisian art museums. Its characteristics - a national institution decentralized to Marseille; a societal museum; a recently opened building in a district undergoing urban development - give it a specific place in the French museum landscape. It is therefore a laboratory for these evolutions and an ideal observatory to grasp them. As an employee (CIFRE grant), we worked day-to-day for three years in the public department of the Mucem. We have designed a cultural interpretation device: the digital application "Mu". This thesis is based on a participant observation conducted with professionals within this institution. In addition to participation in the day-to-day work of the department - involving work meetings, informal discussions, and observations of public visits - the data collected includes about thirty interviews, a sociography of the professional and social backgrounds of all the workers at the Mucem (N=166), and a study of the internal statistics of the museum on its visitors. We demonstrate that the renewal of cultural interpretation, carried by the "Mu" device among others, is rooted in a normed institutional framework and a "miserabilist " conception of the public. This device, like others, embodies a new standard of "eclectic" cultural legitimacy. The latter, which is specific to the middle and upper classes to which the professionals working with the public belong, promotes cultural diversity, rejects the school model and makes popular culture its own. By being incorporated into the museum, this type of device thus participates in the blurring of cultural hierarchies, which are less perceptible than before, but still persist.